" It feels like I only go backwards. "«
Sois ici demain, à 14h. J'te mets en période d'essais pendant une semaine, ça te donne largement le temps de faire tes preuves. En général quand un client aime ce qu'une de mes filles lui fait, il revient. Et jusqu'ici, ils sont toujours tous revenus. Et je tiens à ce que ça continue. Compris?»
Charlie avala douloureusement sa salive avant de d’acquiescer lentement. Elle faisait tout pour paraître docile. Elle, Charlie. Pour la première fois de sa vie, elle aurait tout donné pour devenir invisible, pour que personne ne la remarque. Elle se sentait jugée, épiée. La jolie blonde était assise dans un fauteuil en velours rouge. Absolument dégueulasse. En face d'elle, juste derrière la table basse transparente se trouvait un vieillard. Il la reluquait sans scrupules. Ses pupilles accrochant chaque partie de son corps. Charlie se sentait vulnérable et désespérément seule. Plus qu'elle ne l'avait jamais été.
Le vieil homme passa une main pouilleuse sur son visage bouffis avant de lui demander d'un ton presque agacée «
Ton nom?» La blonde lui répondit précipitamment, la voix chevrotante «
Charlie, Daniels. »
Elle ne se reconnaissait plus. Avant elle lui aurait craché à la gueule avant de partir d'un pas rapide, le majeur levé.
Avant.Elle ne savait même pas pourquoi elle était ici. Pourquoi est-ce qu'elle avait répondu à cette petite annonce. Vingt minutes auparavant, elle était assise à une table dans le café en dessous de son petit appartement. Sa carte de banque venait d'être refusée. Charlie avait juste pris un simple café avec l'argent qui lui restait. Et là, sur la table près de la fenêtre il y avait ce journal, ouvert à la page seize. Dans un grand encadré blanc, on lisait les mots ''vous chercher du travail?''
oui ''de l'argent facilement gagné?''
oui ''rapidement?''
o-u-i. Et voilà ça avait commencé comme ça, une simple annonce figée sur du papier glacé.
«
Hum... Ici, ça sera juste Némo. J'aime mélanger l'innocent et le...», il émit un bruit qui ressemblait approximativement à un ricanement, «
coupable. Suit Bridget, elle va te montrer deux ou trois trucs à savoir avant de commencer. Bienvenue en enfer petite.»Et son désormais patron avait ri, un rire gras qui sonnait terriblement faux. Charlie s'était relevé et avait emboîté le pas machinalement à la fille trop maquillée et dont la jupe trop courte lui faisait atrocement penser à une... Ouais. C'était ce qu'elle était aussi maintenant.
*
Il faisait atrocement chaud ce jour-là. Presque étouffant. De nombreux rayons de soleil venaient s'écraser sur la peau fragile de la jolie blonde, brûlant doucement son épiderme bronzé. Charlie essayait tant bien que mal d'accélérer le pas. Elle porta sa cigarette coincée entre ses doigts à sa bouche. La blonde inspira profondément avant de relâcher une volute de nuage blanc dans l'air. Un sourire apparut sur son visage et elle accéléra davantage. La jeune fille sortit son portable de sa poche, juste pour vérifier l'heure. 15 appels en absence. Tous de la même personne. Dans son répertoire, il portait le nom de ''salopard''. C'était simple, court et logique. Son boss. Quinze appels de son patron. Ça n'annonçait rien de bon. La blonde fronça ses sourcils et se força à garder la cadence malgré ses chevilles qui la faisaient déjà souffrir atrocement.
Saloperie de talons, pensa-t-elle alors qu'elle s'engageait dans
la ruelle. Des deux côtés du chemin, des bâtiments se chevauchaient. Ils arboraient tous des inscriptions, des pancartes ou autres néons représentant l'activité qui s'y déroulait. Quelques filles fumaient une dernière cigarette avant de se mettre au boulot. Charlie en salua quelques une avant de s'engouffrer dans la troisième maison sur sa droite. C'était devenu son petit rituel, elle s'y était habituée plutôt rapidement.
Là-bas, Charlie n'existait plus. Némo prenait sa place.
Elle était en retard. Elle pénétra dans le bâtiment sans un regard en arrière.
«
Ném, c'est pas parce que t'as un joli p'tit cul que tu peux glander quand ça te chante. J'te paie pour bosser. Merde grâce à moi tu vis, alors bordel tu te pointes quand je te le demande et tu fais ce que je te dis. Et j'ai besoin de toi tout-à-l'heure, tu fais comme la dernière fois. Tu bouges devant les gars pendant qu'on leur sert des verres, okay?»
Et voilà. La jeune fille venait à peine de mettre un pied dans le hall miteux de l'hôtel que son boss lui prenait déjà la tête. Et en plus il lui demandait de faire la strip-teaseuse jusqu'à trois heures du matin. Elle n'aurai jamais du se lever de son lit aujourd'hui. Elle le voyait remuer dans tous les sens derrière son énorme comptoir en bois foncé. Il ne la regardait même pas trop occuper à vérifier dans son énorme registre l’horaire de ce soir. C'était n'importe quoi, elle n'était même pas en retard, du moins pas de son point de vue.
Son boss. Il était ridicule. Petit, 1m50, la soixantaine d'années, il avait toujours trop chaud, un ventre atrocement rebondi, des dents d'une couleur jaunâtre douteuse, quelques cheveux sur le crâne. Tout sauf attirant. Un bon mac comme on en faisait plus en somme. Charlie soupira exagérément avant de se diriger d'une démarche chaloupée vers son patron. Ses talons résonnaient dans la salle alors qu'elle franchissait les quelques mètres qui la séparaient du bureau en faux marbre. La jeune fille tendit sa main en direction du vieil homme attendant qu'il cède et lui donne la clé de la chambre dans laquelle elle allait rester un moment. Elle arqua un sourcil tout en lui répondant d'une voix agacée : «
C'est bon j'ai que quelques minutes de retard, tu vas pas piquer une crise pour ça. Passe-moi les clés, j'monte me préparer.. »
L'homme posa enfin son regard sur elle, un regard pur, presque innocent. Deux pupilles couleur azures qui la scrutèrent intensément. Elles étaient d'une couleur incroyable, la seule chose qu'il avait pour lui. Il la fixait comme s'il arrivait à lire en elle, comme s'il parvenait à voir ce qui se cachait derrière toutes ses manières, ses ongles pourpres et ces faux cils impressionnants.
«
Tu sais, je te garde seulement parce que t'es un bon coup. T'es une de mes meilleures recrues al... » «
Abrège papy, j'dois nettoyer la chambre. Bridget est sûrement passée par là et elle laisse toutes ses capotes par terre. C'est juste dégueulasse.» Elle leva les yeux au ciel avant de reprendre sans laisser le temps à son boss de répliquer. «
Il est comment?» Le petit homme attrapa la 33ème clé accrochée au mur dans son dos et la posa dans la paume de la bonde, vaincu. Il préférait la laisser faire, elle lui payait son essence après tout. Charlie tira une nouvelle fois sur le petit cylindre blanc, la nicotine se rependant délicieusement dans son corps avant de tout souffler sur le petit homme qui l'observa vaguement irrité. Puis elle s'éloigna du comptoir et alors qu'elle gravissait les marches en bois foncés du petit escalier menant au premier étage, il lui répondit de sa voix grave «
48 ans, marié, trois enfants. Amuse-toi bien.» «
Toujours tu me connais.» Ses doigts se resserrèrent sur la clé qu'elle tenait en main alors qu'elle atteignait la porte de la chambre. La blonde inspira profondément avant d'enfoncer la clé dans la serrure. Elle jeta un coup d’œil à la montre gisant sur son poignet. Elle avait encore vingt minutes devant elle. Elle avait largement le temps de tout nettoyer et de se préparer.
C'est parti Némo." If you close your eyes, does it almost feel like nothing change at all? "Charlie pénétra en trombe dans son petit appartement. Il était situé au dernier étage du bâtiment et pour y accéder, il fallait gravir six longs escaliers qui comprenaient chacun une vingtaine de marches.
Le rêve. Depuis qu'elle avait emménagé ici, l’ascenseur avait toujours été en panne. Un des mystères de la vie. Et puis, même si ça n'avait pas été le cas, la jeune fille n'aurait jamais osé poser un pied à l'intérieur.
La jolie blonde était trempée de la tête aux pieds. Ces jours-ci, le temps n'en faisait qu'à sa tête et c'est une magnifique averse hivernale qui avait surpris la blonde alors qu'elle rentrait à pieds de son boulot. Elle claqua violemment la porte derrière elle avant de s'adosser à celle-ci. Saloperie de temps. Sa respiration était irrégulière et déjà une fine pellicule d'eau apparut au coin de ses yeux. Elle s'obligea à inspirer lentement tout en portant les mains à son visage. Elle haletait tellement que c'en devenait douloureux. Charlie se laissa glisser jusqu'au sol, son dos rappant contre le bois de la porte.
Non, ce n'était pas à cause du temps lamentable qu'elle gisait là, par terre, la mine horrible.
Elle venait de bouger en rythme devant une vingtaine d'abrutis pendant trois heures durant. Elle était cassée. Elle s'en voulait. Elle détestait la personne qu'elle était devenue. Mais c'était plus fort qu'elle, elle s'était forgée une carapace et son seul moyen de défense était l'attaque. Depuis toujours. Elle ne pouvait pas être faible, jamais. Assume.
Sa vie se résumait maintenant en un mot : le mensonge. Elle était épuisée. À quoi est-ce que tout ça rimait? Elle ne faisait que s'enfoncer un peu plus, petit à petit dans la mythomanie à chaque mot qu'elle prononçait. Parce que oui, à force de raconter n'importe quoi, quand elle était en présence de sa mère, de son père, de ses frères ou de sa sœur, elle arrivait presque à croire tout ce qu'elle racontait. C'était sûrement pour ça qu'elle était si convaincante et que tout le monde rentrait dans son jeu. Un sourire hypocrite prit place sur son visage, les coins de ses lèvres se soulevèrent amèrement alors qu'un torrent de larmes dévalait toujours ses joues rougies par le froid. La jolie blonde balaya son appartement du regard. Pathétique, pensa-t-elle. Ils croyaient tous qu'elle avait réussi à s'acheter cette maison magnifique dans un quartier huppé de la ville. Alors que tout ce qu'elle avait su dénicher était cette espèce de deux-pièces qui tenait à peine debout. L'annonce dans le journal disait ''petit appartement, chaleureux, situé à proximité de quelques magasins, bien éclairé, électricité et eau chaude H24 (...)'' le mec avait dû être stone en écrivant cela.
De la colère, de la frustration, de la tristesse. C'était un mélange destructeur de sentiments qui stagnait en elle depuis un moment déjà. Le dégoût, aussi. Elle avait essayé, vraiment, de les enfuir au fin fond d'elle-même. D'en faire abstraction. Certains jours, elle arrivait presque à les oublier, faire comme s'ils n'avaient jamais existé, faire comme si elle était (italique)heureuse. Mais quand la réalité la rattrapait, son état se dégradait un peu plus à chaque fois. Elle ramena ses jambes contre sa poitrine et enfuit sa tête dans ses deux bras frêles. Son corps fut rapidement parcouru de spasmes. Elle pleurait rarement. Très rarement. Charlie avait toujours trouvé que c'était un signe de faiblesse et elle n'était pas faible. Les larmes dévalaient sur ses joues, rappaient contre sa peau avant de s'écraser sur le sol abîme. La blonde aurait juré qu'elle entendait l’écho de leur choc contre le parquet résonner dans sa boîte crânienne. Chaque goutte, c'était une partie d'elle-même qui disparaissait. Les gouttelettes d'eau laissaient sur leurs chemins des traces foncées de mascara. Elle ressemblait à une star de série américaine que son copain venait de larguer. La jeune fille faisait peine à voir, ses cheveux étaient emmêlés, elle tremblait et son visage était comme figée en une expression de douleur. Ses doigts tâtonnèrent dans la poche de son jean à la recherche de son portable. Elle le porta devant ses pupilles vertes. Son pouce glissa sur l'écran la menant dans son répertoire. Les noms défilaient devant ses yeux mais Charlie ne se résolut pas à s'arrêter sur un d'eux. Elle se mordit violemment la lèvre avant de balancer son téléphone dans l'autre coin de la pièce. La blonde retint un autre sanglot avant de reposer sa tête entre ses bras.
Elle avait toujours été parfaite, dans tous les domaines. La seule ombre au tableau avait été sa grossesse indésirée. Elle ne se rappelait même plus du nom du mec qui avait failli devenir le père de son enfant. Encore plus pathétique. Après ça, Charlie s'était promis de ne plus coucher avec quiconque avant de connaître un minimum d'informations sur la personne. Mais ça, c'était avant. Avant qu'elle rate ses études, qu'elle pleure, qu'elle travaille comme barmaid et prostituée, qu'elle habite dans cette chose, qu'elle mente...
Maintenant, elle couchait avec des inconnus, presque tous les soirs en échange de quelques dollars. Sa vie avait beaucoup trop changé à son goût.
" Got a secret, can you keep it ?
Better lock it, in your pocket. Taking this one to the grave "«
Et tu fais quoi dans la vie déjà?»
Merde. La fourchette que tenait Charlie dans sa main droite grinça brutalement contre l'assiette en porcelaine. La jeune fille avança une main incertaine vers le verre d'eau qui se trouvait en face d'elle. Tous les regards étaient tournés vers elle. Elle ramena sa main vers elle et le posa sur ces genoux arborant une position qui était tout sauf naturelle. Elle mordilla sa lèvre supérieure nerveusement.
''J'ai raté mes études, je travaille dans un bar tous les soirs, à la fin de la journée je pue la clope, la bière, je souffre 8h non-stop en haut talons, je dois supporter les remarques déplacées des gros porcs qui squatte toute la soirée et porter ce stupide uniforme rouge qui ne va pas du tout avec le teint de ma peau, j'habite dans un minuscule appartement et j'arrive même pas à payer le loyer avec mon salaire minable de serveuse oh et j'oubliais si je suis pas encore trop crevée après avoir travaillé toute la soirée, j'me prostitue mais . Tu veux encore un peu de salade maman?'' Non. Elle ne pouvait définitivement pas répondre ça. Ses doigts se refermèrent sur le couvert argenté avec une violence telle que la jointure de ses mains en devint blanchâtre. Elle releva brusquement la tête et mâcha mécaniquement la nourriture qu'elle avait en bouche. Si ça n'avait pas été elle, là, au milieu de tous ces regards indiscrets, Charlie en aurait ri, elle se serait moqué ouvertement de la personne qu'elle était. Elle s'insultait intérieurement. Dis quelque chose, c'est quoi ton problème?! Sa mère lui lança un regard interrogateur, les lèvres pincées en une fine ligne presque invisible. ''
Qu'est-ce que tu fais...?'' lui demanda-t-elle explicitement avant de répondre à sa place en posant une main rassurante sur celle tremblante de sa fille «
Charlie fait des études de droit. , tout ce que Charlie percevait dans sa voix était de la fierté, elle baissa les yeux,
Elle veut aller loin, devenir avocate. Son avenir est tout tracé. Elle va accomplir de grandes choses, on est très fier d'elle!» La jolie blonde se mordit la lèvre avant d’acquiescer, un mince sourire habitant ses lèvres rosées. Elle devait dire quelque chose, son regard se posa sur Tom, Sixteen et Siméo. Elle ne voulait pas s'effacer devant eux et puis ils remarqueraient tout de suite que quelque chose n'allait pas si elle se terrait dans le mutisme. Parce que oui, ils ne s'appréciaient pas plus que ça mais ils avaient tous passé suffisamment de temps les uns avec les autres pour se connaître un minimum. Ses deux frères et sa soeur. Si elle ne réagissait pas vite, ils se braqueraient. Ils la connaissaient depuis trop longtemps. Et Charlie était tout sauf une personne effacée. «
Il faut bien que quelqu'un redresse le niveau, ajouta la blonde, retrouvant enfin la parole. Dissimuler sa gêne et amadouer les gens, elle était très douée pour ça.
Entre Tom qui pense pouvoir devenir un jour une rock star et Sixteen qui sait à peine compter, j'essaie de sauver la chose.» Sa mère leva les yeux au ciel alors que ses lèvres s'étiraient en un mince sourire. Charlie lui sourit en retour avant de piquer sa fourchette dans son morceau de viande. La conversation reprit sur un sujet tout autre et Charlie inspira doucement avant de souffler se rendant compte qu'elle s'était arrêté de respirer à l'entende de ces mots. Elle n'écoutait rien. Siméo, Tom et Sixteen protestaient. Elle les voyait, juste en face d'elle. Elle percevait bien leurs expressions révoltées. Mais elle n'entendait rien. Les gens parlaient autour d'elle mais rien n'arrivait à ses oreilles. Tout ce qui arrivait à son cerveau était une simple phrase, quelques mots qui résumaient bien l'état dans lequel elle se trouvait, perdue.
Mais dans quoi est-ce que je me suis foutue? Elle pouvait rayer ''dîner de famille'' de la liste des choses qu'elle pouvait encore faire sans danger de révéler
son secret.Son téléphone vibra sur la table. Les gens, sa famille continuait de parler. Charlie posa ses orbes bleutés dessus. ''Boss'' Sa respiration se bloqua. C'était comme si elle devait faire un choix, là, maintenant. Elle savait qu'il l'appelait parce qu'il avait besoin d'elle. Mais elle dînait avec sa famille, à laquelle elle mentait depuis un moment déjà. Lentement, sa main tremblante s'approcha du portable et avant qu'elle n'ait le temps de se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle était à la porte de sa maison d'enfance, son manteau sur le dos, son portable à l'oreille. Elle avait choisi, elle allait le regretter.Le lendemain, Charlie s'était réveillée les joues trempées. Elle avait rêvée de son bébé. Celui qu'elle aurait du avoir. La blonde avait vu son visage si parfaitement que c'en était déconcertant. Elle avait crié, haleté dans son sommeil pendant de longues heures jusqu'à ce qu'elle se réveillé ici, sur une plage, les cheveux emmêles et parsemé de grains de sable séchés. Le soleil frappait. Elle ne comprenait pas.
Ou était-elle?Bienvenue dans le wastelant Charlie.