Verre de terre, infecte. Ramasse poussière, sac à puces. Tu erres dans la ville, t’foutant pas mal d’être trempé par la pluie. T’es aussi laid qu’le caniveau, mec ; puant et dégoulinant de merde. Egout. Dégout. Tu t’es vu quand t’as bu ? T’es misérable, ce qui en soit ne change pas vraiment de d’habitude. Imbibé à l’extérieur comme à l’intérieur, il n’y a pourtant rien qui pourrait te laver de tes péchés. Mais tu t’en branles, l’enfer tu connais déjà.
Doucement tu t’aventures dans les bas quartier. Au loin, tu peux entendre les cris d’une fille, probablement martyrisée. Dommage pour elle tu ne te sens pas l’âme d’un héros aujourd‘hui. Tu traces la route. Le chacun-pour-sa-gueule est une règle de base que tu as très vite apprise. Enseignée par la materne elle-même. L’une des seule chose qu’elle t‘aura apprise, d’ailleurs. Elle a jugé cela plus utile que de te t’enseigner à marcher ou parler correctement. Sans doute savait-elle par avance que tu passerais la moitié de ta vie à quatre pattes, offrant ton cul au plus offrant en brayant des insanités. Pour le coup elle avait prévu juste. Fils de pute, les chiens ne font pas des chats. Fatalité. Y’a pas de rédemption pour les gens de ton espèce. On n’fait pas d’or avec de la merde.
Tu passes devant le Kebab du quartier tenu par deux ritals à l’air peu avenant. Tu sais qu’il n’y a pas que du pain-nan qui circulent dans l’resto mais aujourd’hui tu te contenteras d’une barquette de frites froides. La nuit a été courte et il n’est pas dans les habitudes de ces enfoirés d’espagnols de faire crédit. L’échange est bref, tu paies, engloutis ta maigre pitance comme un affamé et reprends ta route, toujours sous la pluie.
Finalement tu atteints le terrain vague et aperçois la caravane vétuste qui se dresse à l’horizon, résistant péniblement aux conditions climatiques qui s’acharne sur sa pauvre carcasse. Un orage éclate dans le ciel et tu presses le pas pour effectuer les derniers mètres. Sur le chemin tu pries en silence pour que ta reum ne soit pas entrain de faire une passe sans quoi elle te jettera dehors sans vergogne. Elle préférait te savoir foudroyé que de renoncer à quelques malheureux billets. C’est pas triste, c’est juste comme ça.
A la hâte tu ouvres la porte de la caravane et te réfugies à l’intérieur. Il fait toujours aussi froid mais au moins tu es au sec, si on oublie les fuites qui ruissèlent sur le plafond et apportent une forte odeur de moisie à la pièce.
Par chance ta mère n’est pas avec un client. Elle est allongée en travers du lit, nue. Son visage est blanc et inexpressif. Son mascara noir a coulé le long de ses joues, se mêlant à son fond de teint bon marché en formant d’immondes paquets dégelasses. Elle ne bouge pas, elle est morte.
Overdose. La came est encore étalée sur la table basse. Pour toute réaction tu te contentes de la regarder et de souffler d’un ton las :
« Hé bah, c’pas la grande forme pour toi on dirait… » puis de te débarrasser de ton manteau trempé.
La tristesse ? Ca ne t’effleure même pas l’esprit. Tu savais bien qu’un jour ou l’autre cela finirait pas arriver. A vrai dire il n’y a que deux chances auxquelles tu penses en ce moment même. La première est que tu vas pouvoir récupérer la caravane et ainsi t’assurer des passes un peu plus confortables. Adieu les toilettes de bars miteux, les hangars désaffectés ou bien encore les ruelles qui puent la pisse. La deuxième est : qu’Est-ce que diable tu vas bien pouvoir foutre du corps ?!
« Putain tu fais chier… même canée tu trouves le moyen de m‘emmerder.»Rapidement tu entreprends d’ôter le reste de tes vêtements mouillés avant de les jeter négligemment sur le sol puis, tu t’accroupis à côté de la table basse et enfiles le reste de coke qui y traîne. Cette mauvaise merde a coûté la vie à ta mère mais tu t’en fiches, t’as jamais eu peur de mourir. Doucement tu laisses le poison s’insinuer en toi et prends ta tête entre tes mains, essayant de faire le vide.
« Putain, putain, putain » répètes tu inlassablement. T’étais déjà bien seul avant mais maintenant c’est encore pire. Du rang de cafard tu passes à l’état de fourmis. Tout petit, petit…
Epuisé tu te jettes en travers du lit. Les draps puent le foutre et le lubrifiant premier-prix mais tu t’en fous, depuis quand n’as-tu pas dormi dans un vrai lit ? Depuis trop longtemps assurément. De ta main droite et sans trop savoir pourquoi tu te surprends à caresser affectueusement la perruque blonde de la vieille pute avant de lui fermer les yeux du bout des doigts. Il aura fallu attendre 16 ans et la mort de ta mère pour que vous partagiez votre premier moment tendre. Doucement tu te blottis contre le corps froid et en un rien de temps t’endors comme une masse. Dehors la pluie continue de tomber, l’orage continue de tonner, le monde continue de tourner s’foutant pas mal de vous, deux enfants abandonnés : l’un déjà crevé, l’autre la mort dans l’âme…